CHEIKH SIDI AHMED TIJANI (ra)

Aïn Mâdî' est l'oasis choisie par le quatrième grand-père du Shaykh Tijânî, Mokhtâr, originaire des Tribus de Abda qui avait émigré, moins d'un siècle auparavant, fuyant le ravisseur portugais. Cet éminent Chérif, n'avait fait que se déplacer, en fait, d'une région marocaine, à une autre, car Aïn Mâdî, chef-lieu de la tribu Tijânie, faisait partie du Sahara oriental, dépendant, alors, du Maroc; Sidi al Mokhtâr s'intégra, par alliance, au sein du groupement tribal des Tijânîs.
Sidi Ahmed est né à Aïn Mâdî, en l'an 1150 de l'hégire. Maints poèmes furent composés, pour commémorer cette naissance. Son père, Sidi Mhammed Ben Al Mokhtâr Ben Ahmed Ben Mhammed Ben Sâlem, était d'une vaste érudition. Sa mère est la fille de Mohammed Ben Sanoûssi. Les deux furent atteints de la peste et moururent le même jour, (1166 H). Les membres de cette noble famille furent, pour la plupart, d'éminents polyvalents, notamment dans les sciences islamiques. Son neveu maternel Abdellah al Mâdaouî, réputé par ses connaissances générales, principalement dans les sciences mathématiques, fut, comme les autres, un grand soufi.
Le jeune Ahmed, eut l'heur de vivre, toute la fleur de son âge, dans l'ambiance saharienne de ce groupe harmonieux, élevé dans le cadre d'un pur sounnisme. Dès son premier "septain", il apprit tout le Coran par coeur, les recueils didactiques, pour devenir, dès la fin de sa deuxième décennie, un grand Alem, juriste et homme de lettres ; les gens affluaient, de toutes parts, pour le consulter et
1 Aïn Mâdî est un village édifié au XI ème siècle de l’ère chrétienne par Mâdi Ben Yaqoûb, à proximité d'une source d'eau.
Despois J :Le Djebel Amout; 1956 (p. 79)
Daumas, M.JE., Le Sahara algérien, 1845 (p. 35)
profiter de sa double culture à la fois exotérique et ésotérique. Il se maria, du vivant de ses parents, avant d'atteindre la seizième année de sa vie fructueuse. Mais, explorateur dynamique, en quête des grands érudits de l'époque, il ne put garder sa Première épouse, de crainte de la délaisser seule, lors de ses longues pérégrinations ... Il épousa, alors, deux de ses servantes, qu'il avait auparavant affranchies, donnant, ainsi, le meilleur exemple du respect des hautes aspirations et des judicieuses attentes de l'être humain, sur le plan éminemment sounnite, des droits de l'homme et de la femme". Une de ses servantes Mabroûka lui donna un premier fils: Mohammed al Kébir et l'autre Moubâraka, le deuxième garçon Mohammed Al Habib, deux éminents khalifes dont la haute éducation eut pour assise l'attachement de leur vénéré père à la Sharîa et aux principes pérennes de la Sounna. Il les maria, tous deux, dans la ferme observance des traditions authentiques où dots et dotations, étaient réduites au strict minimum.
Ainsi, à peine âgé de seize ans, le jeune Tijânî avait accédé au rang de mufti, non seulement sur le plan de la Sharîa, en tant que jurisconsulte, mais dans le forum plénier des sciences et arts islamiques où il excellait. Les cours qu'il donnait dans les mosquées, les controverses qu'il animait avec l'élite intellectuelle de ses contemporains, proéminents dans leur spécialité, lui assurèrent une large suprématie, sur le plan exotérique. Son critère foncier, qui le distinguait et le marquait, dans la fleur de son adolescence, fut son attachement indélébile à un sounnisme authentique, dans son conceptualisme serein et son ponctualisme souverain. Les chapitres élaborés, en l'occurrence, dans Jawâhir Al Maâny (Perles des Idées) en font foi. Là, ses analyses pertinentes sont d'une grande ouverture, freinée exclusivement, par une observance stricte ' mais bien mesurée, des concepts et préceptes d'un Islam universel. Le dogme authentique de la Sounna, s'avère, alors, dans les composantes de ces analyses, bien documenté. C'est grâce à cette primauté exotérique pondérée,
2- Sidi Ahmed ne cessa de s’approprier des «esclaves» des deux sexes, pour les libérer.
Le nombre des affranchis atteint un jour 25 personnes; dans ce forum ménager, les esclaves» menaient un train de vie chastement libéral et hautement fraternel Sidi Ahmed ordonnait, constamment, à ses compagnons de ne guère dévier de ce concept idéalement mohammadien.
que l'ésotérisme Tijânî s'avère si authentique, dans son élan somato- spirituel où la matière, chez l'être humain, n'est que l'élément complémentaire de sa spiritualité. Un éventail assez large des grands maîtres soufis de Sidi Ahmed se déployait dans les diverses régions du Royaume. Il ne manqua guère, mû par ses hautes aspirations vers le sublime, d'entreprendre une pérégrination qui l'amena à Wazzane, où il eut l'heureuse occurrence de rencontrer, en premier, "le grand pôle" Sidi Taïb Ben Mohammed Ben Sidi Abdellah Ech-Charîf, chef vénéré de la ligne idrisside maghrébine; ce ne fut qu'une simple relation de bénédiction avec ce premier Shaykh (décédé en 1181 H), car Sidi Ahmed se refusa, dans cette étape de son processus spirituel, une quelconque responsabilité non didactique; il n'eut pas encore le loisir de se consacrer à une tierce orientation éducative, se contentant de s'assurer une perfectibilité adéquate, par une série de liaisons- test. Le pôle Sidi Taïb avait atteint un rang parfait, dans l'échelle des valeurs spirituelles ; notre jeune Shaykh, Sidi Ahmed en profita pleinement, car il s'agit d'une série de générations où quatre pôles, parmi les Chérifs, se reliaient, dans cette hiérarchie si optimale. Sidi Taïb avait succédé à son frère Moulay Thami (décédé en 1127 H), digne disciple de son père Sidi Mohammed (décédé en 1120 H) qui hérita de leur ancêtre, le grand Ghawt Moulay Abdellah (décédé en l'an 1089 H). Celui-ci fonda la cité de Wazzane, ayant pour maître, un des grands pôles de la montagne toute proche de Sarsar, Si Ahmed Ben Ali Es-Sarsârî, un des piliers de la confrérie Tabbâiya Jazoûliya, source des grands ordres mystiques du Royaume. A l'époque. le pôle Sidi Ahmed Sqallî vivait à Fès. Mais le Sheikh Tijani n'avait pas eu l'occasion de le voir de près, évitant, parfois, tout contact, avec des Sheikhs de cette envergure, car fait remarquer l'auteur de la Boghia (p. 157)- "La Providence divine avait voulu qu'il n'eût pour seul maître que le seul maître universel et le sublime des créatures, le Prophète Sidna Mohammed".
Néanmoins, le Shaykh Tijânî, n'a rien épargné, à la suite du couronnement de son processus hiérarchique par la Grande Ouverture, pour rendre un vibrant hommage à Moulay Idriss, éminent Arif (gnostique), qui honore, par ses hauts privilèges, la capitale Idrisside.
Dans son parcours, à travers le Maroc, une nouvelle conjoncture se présenta, dans le but d'entrer en contact avec le Grand Wali Sidi Mohammed Ben al Hassan al Wanjalî (décédé 1185 H), de Beni Wanjal, du Jabal Ez-Zabîb, qui lui annonça son prochain accès au rang élevé du Grand Saint du Rif, Abou Al Hassan Chadhili, supposé inhumé à Alexandrie, dont les hauts préceptes et concepts avaient fait école, dans tout l'Orient musulman, dès le huitième siècle de l'hégire. Mais, cette fois encore, le Shaykh Tijânî avait décliné l'offre qui lui était faite, de s'insérer dans la chaîne confrérique wanjalie, ainsi que celle du célèbre Sidi Abdellah Ma'n l'Andalou (décédé en 1188 H), maître d'un ordre caractérisé par le "lien" de lichrâq (flot de lumière extatique), sans wird spécifique.
Ce fut à Taza qu'il eut affaire à un Grand Saint "rnalâmati", Sidi Ahmed Et-Tawwâch (décédé en 1204 H) qui lui conseilla d'observer le trio leitmotiv de l'ouverture: la "khalwa", l'isolement du Monde et le "dhikr". Il déclina cette nouvelle offre, quoique réduite par le célèbre wali, et en fin de compte, à la seule observance d'un certain dhikr bien spécifié. Le Shaykh Tijânî repoussa poliment la proposition, aspirant inopinément à un don divin spontané, sublime, sans effort, ni épreuve. Dans ses rebuts réitérés, le Shaykh semble être le réceptacle d'une forte inspiration, émanant d'en haut et confortée par l'espérance dont ses maîtres avaient animé le tréfonds de son âme. Sidi Ahmed poursuivit ses tests, comme s'il s'attendait à de nouvelles promesses et à de meilleures révélations.
Il s'engagea, alors, successivement, dans les ordres Qadiri, Nâssirî, Siddîqî (voie de Sidi Ahmed al Habib de Sijilmâssa), essayant d'intégrer, cette fois, des confréries, s'inspirant des émanations et effluves des générations antérieures, les grands maîtres du "Barzakh" .
Suite à cette série d'épreuves qui lui firent apparaître certaines spécificités marquantes et fins messages dont il était le destinataire, il s'empressa de retourner au Sahara, sur recommandation de son maître Al-Wanjalî, qui lui révéla que l'accomplissement de son "Fath" (Ouverture) ne se réalisera que près
3 Châdhili est décédé à la Mecque, selon certains hagiographes, pour d’autres, il le fut au désert de Aîdhab (haute Egypte), c'est la version plausible (Nafh et-Tib, Meqqari T1 p. 587) et (Chadharat ed- Dhahab T5 p. 278) et (Tabaqàt ech-Charâni T2 p. 4)
a N. d’édition: « Intermonde »
de la Zaouiya du grand "qotb" (pôle) de "Balad Al Abied" au Sahara. Là, il Poursuivit ses prières, ses enseignements et ses sermons, durant un lustre, interrompus par des visites intermittentes à "Aïn Mâdî". Passé ce délai, il fit un saut à "Madînat al Jidâr" (Tlemcen) où il s'installa, s'ingéniant, outre ses offices et cultes, à enseigner le Hadîth (tradition du Prophète) et le Tafsîr (exégèse du Coran).
C'est dans cette cité- souligne l'auteur de la Boghia- (p. 161), que la Providence du Seigneur lui assura une parfaite disposition à recueillir un flot d'ouvertures et de "successibilités" infinies, empreintes d'une extrapolation, sans pair, et d'une vive accélération centripète convergente.
Un aimant irrésistible d'attraction émanait de sa personne, miraculeusement illuminée, exerçant une intense séduction dans toute son ambiance. Maintes délégations, affluaient de toutes parts, en quête de sa bénédiction. Loin de s'en enorgueillir, il les esquivait poliment, ne se croyant guère en mesure de transcender au rang de Shaykh. Une délicate retenue et une modeste pudeur, devaient motiver ces accès, non autorisés par son maître unique, le Prophète Sidna Mohammed que Dieu le salue et le bénisse. Le Shaykh Tijânî, est, de plus en plus conscient, que tout engagement dans la direction des consciences, est fonction d'une permission formelle, émanant d’Allah, par l'entremise d'un Message Mohammadien.
Ainsi, dans ce stade de son processus, le Shaykh Tijânî, se voit dans l'obligation de conforter ses ascensions, par le pèlerinage à la Mecque et la visite sacrée du Tombeau du Saint Prophète. Il quitta la cité de Tlemcen, en l'an 1186 H. A Zwawa, en Algérie, il eut tout loisir de faire la connaissance du Shaykh Mohammed Ben Abderrahman al Azharî (décédé en 1208 H), auprès duquel, il s'inséra dans l'ordre Ehalwatî, qui lui fut transmis par le maître Hafnaoui; lors de son passage en Tunisie, il y partagea son séjour, durant toute une année, entre Tunis et Soussa, dispensant généreusement ses enseignements dans les diverses branches des sciences islamiques, notamment, l'exégèse coranique, la Sounna, prenant modèle sur la vie sublime de l'Envoyé d’Allah et sa conduite exemplaire. Ne pouvant contacter personnellement le grand Pôle de la région, il se contenta d'une correspondance, par personne interposée Abdessamad Rahwî, disciple du Qotb et un des quatre personnages ayant libre accès auprès du Shaykh, les nuits du Vendredi et du Lundi. Le Qotb s'empressa de rendre hommage à Sidi Ahmed, qu'il qualifia d'Aimé d’Allah.
Entre temps, le Shaykh Tijânî s'ingéniait à dispenser les disciplines soufies, à travers les "Hikam", (Adages de Sagesse) d'Ibn Atallah d'Alexandrie, amplement commentés par les Soufis dont le fameux Zarroûq qui leur réserve vingt sept "sharhs" (commentaires).
Le prince de Tunis, émerveillé par ses cours bénévoles, lui proposa un séjour prolongé, dans la capitale, pour faire profiter, de sa haute culture, l'auditoire de la Zaïtoûna, première Université Africaine, édifiée un siècle avant la Qaraouyène de Fès (245 H) et deux siècles avant celle d'Al Azhar du Caire (jade siècle). Le prince tunisien ordonna, alors, un octroi généreux au Shaykh, lui réservant demeure et subvention. Le Shaykh, dont la "himma"", rejeta tout don autre que celui de la Généreuse Providence, s'empressa de s'esquiver, en quittant le pays, le lendemain, pour Le Caire. Là, l'éminent Shaykh irakien Mahmoud al Kourdî, bien connu en orient, par sa haute luminance, éclatante et pénétrante, s'attacha vivement à la personne de Sidi Ahmed dont il prédit un futur florissant, dépassant de loin, toute prééminence, dans le rang des "Qotbs". Il ne s'attarda pas longtemps, en Egypte, actué par une luminescente mouvance vers les Lieux Saints, se délectant d'avance des approches mohammadiennes. Son arrivée à la Mecque eut lieu, juste après le mois de Ramadan de l'an 1187 de l'ère hégirienne. Dans cette cité sainte, la haute maîtrise hiérarchique revenait au Grand Shaykh, l'Indien Ahmed Ben Abdellah, dont Sidi Ahmed n'a pu, encore une fois recevoir la transcendante bénédiction et les subtils enseignements, que par correspondance, sans contact effectif Le même phénomène de Tunis se répéta alors ; mais, cette fois, le Shaykh al Hindi, lui révélant avec précision la date de sa mort (le vingt Dhoul Hijja de la même année), lui annonça qu'il sera son successeur, auquel il transmit les pouvoirs spirituels. Sidi Ahmed refusa encore, avec tact et doigté, tout conditionnement à cet accès, préférant se référer, exclusivement, à la grâce divine, à la libre aisance et à l'acte introspectif qui régira, dès lors, toute mouvance, dans l'actuation spirituelle du futur Ordre Tijânî. Désormais, l'assise
b) N. d. e..: 'énergie spirituelle"
foncière de la Tarîqa sera l'observance stricte de la Sounna, l'attachement indélébile à la tradition prophétique, sans excentricité corporelle ou abus formels excessifs. La conscience doit agir par elle-même, sans effusion extérieure. Le pèlerinage accompli, Sidi Ahmed, partit pour Médine, attiré par un sentiment nostalgique vers la sépulture sacrée du Sceau des Prophètes, intensément remué par les reflets d'une effluente luminescence mohammadienne. Il ressentit, de cette approche, une secrète émanation et un effluve telle une décharge alimentée par un potentiel, puissamment ancré dans son être intime.
Un nouvel accès, affectif, l'amena vers le Qotb Essammân, "Ghawt" éminent émerveillé par l'émergence visionnée d'un cachet distinctif, sans khalwa, qui démarqua, déjà, en lui la spécificité de certains contours intimes. Essammân, disciple du Shaykh Mustapha al Basrî es-Siddîqi, n'a pu retenir son vif enthousiasme, exalté par une inspiration divine qui secoua son âme admirative. Ce contact, le dernier que Sidi Ahmed avait pu réaliser, dans son parcours explorateur, le ramena au Caire où son maître al Kourdî, lui révéla les secrets de l'Ordre Ehalwatî dont il finit par accepter la mission didactique, devant l'insistance de son maître initiateur. La condition que le Shaykh Tijânî ne cessait d'exiger, est la temporalité de tout engagement, l'érigeant au rang de Shaykh, chargé d'un leadership spirituel, sans l'ultime permission, en l'occurrence, du Maître Suprême, Sidna Mohammed. Il semble que cette sublime autorisation, le Shaykh a fini, par l'avoir, lors de son séjour à Médine, réitérée par Al Kourdî au Caire. Son retour à Tlemcen en 1188 H, couronna, donc, tout un processus miraculeux de manifestations théophaniques. C'est là où il avait pu rencontrer son premier disciple, Si Mohammed Ben Mohammed Al Mechrî de Tekret (région de Constantine), auquel il confia, avec l'ordre Khalwatî, certains des secrets introspectifs et des "dhikrs" dont il fut éminemment pourvu. Une subtile intimité le lia, désormais, à ce grand élu, mis sciemment par la Providence sur son chemin, jusqu'à l'an 1224 H (date de son décès). C'est un personnage d'une culture proéminemment sounnite et ésotérique, auteur de maints ouvrages sur la Sharîa et le soufisme. Unique compagnon, il présida, dès la première heure, les cinq prières obligatoires du Shaykh, jusqu'à l'an 1208 H, où le Shaykh assura lui-même, son auto- présidence, sur ordre spécifique mohammadien.
c) N. d. e :'Secours'
Après un long séjour à Tlemcen, il reprit en 1191 H, le chemin de Fès, aspirant ardemment, à un recueillement intime auprès de l'illustre Qotb Moulay Idriss à Fès. Il rencontra, alors, à Oujda, son deuxième disciple Sidi Ali Harâzem, futur auteur de Jawâhir al Ma'âny (Perles des Idées). Cet ouvrage, élaboré sur ordre du Shaykh, est devenu le compendium de la Tarîqa et de la Haqîqa, dicté, dans sa majeure partie, par le promoteur de la Tijânia. Ce Thesaurus est le fruit d'une haute acculturation, résultant d'une osmose interférentielle où les éléments d'un double flux s'interpénètrent intimement. Le Shaykh rappela à son nouveau khalife un songe prémonitoire que celui-ci avait entrevu, mais oublié, à propos de ce compagnonnage. Sidi Harâzem s'en est souvenu et en fut, d'autant plus assuré du caractère sacré de ce lien que lui réservent les desseins impénétrables de la Providence. Un sentiment de félicité ineffable et de bonheur indicible, envahit tout le tréfonds de son être, conscient de la Prééminence transcendantale du Shaykh Tijânî ; car les contours imaginés et conçus en rêve, s'esquissent, de plus en plus clairs, en fresques palpitantes, dans sa subconscience. C'est bien le Maître auquel il aspirait. En rentrant à Fès, le Shaykh octroya à son nouveau disciple qui l'accompagnait, les dhikrs discrets de la Khalwatia, dans ses interférences sublimement secrètes. Il retourna à Tlemcen, en temporaire, car le Shaykh lui conseilla, de pérégriner, ailleurs, vers les Lieux Saints: "Attachez-vous" fermement à l'engagement convenu, avec amour, la grande ouverture surviendra inopinément, lui prédit le Shaykh qui alla s'installer, lui aussi, dans cette cité qu'il quitta, bientôt, en l'an 1196 H, pour Chellâla et Aboû Samghoûn, deux Qsoûr du Sahara Oriental, où il s'était déjà, longtemps recueilli. Il demeura, tout un lustre à Chellâla, pour reprendre le chemin d'Aboû Samghoûn, en l'an 1199 H, où il résida, quelque temps, avec sa famille. Il ne manqua guère, lors de son séjour dans ce bourg béni, de se déplacer à "Touât", pour contacter le grand Arif ( gnostique ) Mohammed Ben Al Foudaïl qu'il. avait déjà rencontré auparavant. Le Shaykh avait écrit, à maintes reprises, à cet éminent personnage, sollicitant certains secrets et dons ésotériques dont Allah le gratifia. Il ne lui répondit guère, aspirant à un contact effectif avec notre Shaykh dont il prévoit l'inestimable destinée, au sein du forum des Elus d’Allah. Une bénédiction mutuelle scella la réciprocité des deux pôles.
De ces Qsoûr sahariens, le Shaykh fit un saut à Taza, en quête d'un grand ami, que le Seigneur lui destina, comme disciple et compagnon, Sidi Mohammed Ben Larbi Damrâwî. Il l'aimait particulièrement, car le Prophète le lui avait recommandé, et il ne manquait pas de lui rendre, constamment, visite, quand il deviendra son médiateur, s'entremettant entre lui et le messager d’Allah, que le Shaykh n'osait contacter par sublime retenue. Il s'est avéré que cette révérence pudique était le propre de certains compagnons du Prophète, eux-mêmes, qui n'osaient nullement l'approcher, ignorant effectivement, jusqu'aux empreintes les plus apparentes de sa personnalité. Cet état de crainte déférente et de politesse respectueuse est fonction du rang hiérarchique de l'être bien aimé.
Mais, dans tout ce processus, le Shaykh Tijânî ne manquait pas de retourner à son village natal qui regorgeait d'éminents "Uléma" dont la vaste érudition attira l'attention du grand soufi, Aboû Sâlem al Iyâchî, dans sa "Rihla" où il fit l'éloge de la prééminence de l'érudition polyvalente des uléma de Aïn Mâdî.
LE SHAYKH ET LES TURCS D'ALGERIE
Au début, Sidi Ahmed n'avait pas quitté Aïn Mâdî, de bon gré. Il était constamment épié et obsédé, avec les siens, par les Turcs. De retour de ses pérégrinations, il faisait une escale, de temps en temps, à Aïn Mâdî. Mais, dès l'an 1171H / 1757 ap. j, il fut contraint de s'en éloigner, par les exactions répétées du Bey d'Oran Mohammed Ben Othmân. Il demeura, comme nous l'avons vu, cinq ans à Bled Al Abied, au Sahara Oriental. Il entreprit, alors, son périple, s'orientant vers les Lieux Saints, à travers une longue randonnée, au Maghreb et en Egypte, recherchant les grands Maîtres de la voie soufie orientale.
Aïn Mâdî faisait alors partie d'une province marocaine. Il est curieux de constater que le Sultan du Maroc Moulay Abdellah, fils de Moulay Ismaïl (véritable fondateur de la Dynastie Alaouite) avait dépêché, l'année même de la naissance du Shayhh Tijânî, une expédition, sous la direction du Caïd Jilali Ben Mohammed Saffar, contre les faiseurs de troubles, qui, sous l'impulsion des Beys Turcs, cherchaient, déjà, à promouvoir une série d'incidents, tendant à détacher cette partie du Maghreb, de la Souveraineté marocaine. La lutte continua, acharnée, à l'encontre des mercenaires sécessionnistes. Le Sultan Sidi Mohammed Ben Abdellah (décédé en l'an 1204 H / 1789 ap. J.), envoya un nouveau commando contre des troupes turques qui attaquèrent, sous le commandement du Bey de Mescara, les provinces orientales du Royaume marocain dont Mhaya, Benou Hachem, le Sud d'Oran, Chellâla, Aflou, Aïn Mâdî et Laghwât, territoires faisant partie du Maroc, depuis cent cinquante ans. A la mort du Souverain Alaouite Mohammed III, le Shaykh Tijânî, âgé de cinquante quatre ans, pourchassé par les autorités turques, cherchait à s'esquiver des zones troubles. Pendant plus d'une
1 où se trouve la Zaouiya du Shaykh Sidi Abdelqâder; connu sous le nom", de Sid Shaykh es-Siddîqî (la Boghia p. 120).
2 le capitaine Martin, dans sort ouvrage (quatre siècles de l’histoire du Maroc du Maroc et du Sahara) (p. 101) – Mercier : l’Histoire de l’Afrique Septentrionale.
décennie (1774-1784), il ne cessa de faire la navette, entre Tlemcen (où il demeura huit ans jusqu’à 1774 jusqu'à 1774) et Fès (1781), pour revenir à Abî Samghoûn et Chellâla au Sahara, en 1784. Le Maroc était, alors, dans la plénitude d'un mouvement salait, animé par le Sultan, qui sera poursuivi, en liaison avec le Shaykh Tijânî, dès l'an 1789.
Or, le grand soufi, Moulay Larbi Derqâwî, qui mourut un an après le Sultan Moulay Slimâne (1239 H / 1823 ap.J.), avait, alors, créé, un ordre confrérique, très connu par ses orientations qui ne plaisaient nullement au Souverain marocain ; celui-ci s'érigea en champion de la Sounna et lutta, contre les Mawâsim, les hadras, les danses mystiques, les Samâ' (musique extatique), assises foncières des Darqâwas et qui constituaient, selon le Sultan, des excentricités blâmables. La Tarîqa Tijânia, très stricte, dégagée de toute obédience châdhilite, se déclara, dès ses débuts, d'empreinte mohammadienne, rebutant tout débordement extatique, sans, pourtant, renier certains penchants humains, qui ne dévient guère du fondamentalisme bien conçu de l'Islam. De là, naquit un tiraillement bien marqué entre les deux tendances.
FES, ULTIME DEMEURE DU SHAYKH TIJANI
Après un périple, entre Abî Samghoûn, au Sahara Oriental et Tlemcen, le Shaykh Sidi Ahmed s'installa à Fès, sa demeure préférée, en l'an 1213 H / 1798 ap.J.. Son influence grandissante à Aïn Mâdî et au Sahara, inquiétait le Gouvernement Turc qui alla jusqu'à imposer un tribut annuel à Aïn Mâdî, en 1199 H / 1785 ap.J. La capitale Idrisside était, alors, le centre d'épanouissement de l'Afrique'. Son rayonnement est étayé par la grande Université de la Qaraouyène, édifiée en l'an 245 H / 859 ap. J, bien avant l'Université de l’Azhar du Caire 359 H / 969 ap.J; Fès, étant le centre africain optimal où s'accomplit la symbiose de la science de la Cité tunisienne de Qaïraouân et de celle de Cordoue, capitale de l'Andalousie omeyyade, à la suite de l'immigration à Fès de centaines de familles des deux capitales de ]'Occident musulman. C'est «la Baghdad du Maghreb». 'Pour la plupart des musulmans d’Afrique- fait remarquer Gabriel Charmes² _ , Fès est la première ville sainte après la Mecque. Sa sainteté provient de son origine idrisside et du rôle qu'elle a joué dans l'histoire de l'Islam". "Fès- dit Delphyn- est le « Dar al 'Ilm» (la maison de Sapience), l'asile et le réceptacle de sciences islamiques, car la Qaraouyène fut ,la première école du Monde» où affluaient les Egyptiens, les Tripolitains, les Andalous et même les Européens. Des étudiants de l’Afrique occidentale ne cessent d'émigrer à Fès, pour parfaire leurs connaissances canoniques. Campou fait état de ces "étrangers de toutes nationalités et de toutes religions qui y accouraient de toutes parts".
1 Se référer à mon ouvrage sous presse « Fès, Centre d’épanouissement de l’Afrique», édité par l’Association Fès- Saîs.
2 Se référer à l'ouvrage de Delphyn « Fès, son Université ». (éd.1889) et Godart. «Description et Histoire du Maroc», Paris, 1860, 2 vol.
3 Gerbert d’Aurillac, devenir Pape, sous le nom de Sylvestre II, en l'an 999 ap. J, y avait fait– dit- on, ses études, comme le confirme J. Berque.
Léon Godart dépeint aussi la Qaraouyène comme «Dar al 'Ilm, la plus complètement organisée, sous forme d'Université». C'est pourquoi Ali Bey al Abbassi (alias D. Badia y Leblich) considère Fès ,comme l'Athènes de l'Afrique,, qui n'a rien à envier enchaîne Lévy Provençal- aux autres métropoles musulmanes», parce que ce c'est là où s'élaborait ce que l'on a appelé la civilisation arabe, qui partait du Maroc, pour briller, d'un éclat dont les reflets commençaient à éclairer l'Europe". Ce fut donc une pépinière d'où émanaient des sommités intellectuelles comme Léon l'Africain, né à Grenade. La femme musulmane y trouva son compte, car la célèbre Al Alia, fille du Shaykh Taïb Ben Kiran, y donnait des cours de logique dialectique et formelle ; ce qui incita Mouilleras à s'exclamer, dans son ouvrage «Le Maroc Inconnu», en l'an 1895: "Une femme arabe, professeur de logique ! qu'en pensent nos géographes et nos sociologues qui ont répété, sur les tons les plus lugubres, que le Maroc est plongé dans les ténèbres d'une barbarie sans nom, dans l'océan d'une ignorance incurable ? Une intelligence marocaine plane dans les régions élevées de la science !".
C'est là où le Shaykh vint terminer ses jours, dans la Zaouiyamère qu'il édifia à Fès, recueilli dans la villa (Dar al Mrâya) que le Sultan Moulay Slimân mit à sa disposition. En sus de son activité culturelle, de ses cours dispensés à la Qaraouyène et dans la Mosquée dite « ed-Diwân», sa vie intègre et sa grande érudition, émerveillèrent les fassis et surtout le Souverain Alaouite, qui s'érigea, alors, en défenseur du Sounnisme. Il trouva, en la personne du Shaykh Tijânî, le symbole qui personnifie par son comportement et ses prêches, les concepts indélébiles de la Sharîa.
Au sein de son nouvel Ordre confrérique, nulle trace d'élans excentriques tels les Mawâssim», les Hadras» et les «reqs» (danses extatiques), autant d'actes que Moulay Slimâne stigmatise et flétrit dans une épître qu'il élabora, en l'occurrence. Cette attitude salafie commune mit l'un au diapason de l'autre. Un autre facteur, non moindre, rapprochait foncièrement les deux personnages, à savoir l'élan civique du Shaykh Tijânî, en tant que citoyen marocain, issu de Aïn Mâdî», un des centres religieux du Sahara oriental. Son choix de Fès, capitale de l’empire, auréolée par son édificateur, Idriss II, est très significatif
La nouvelle Tarîqa Tijânia, ainsi dépouillée de toute fissure hérétique, finit par avoir un grand impact, qui incita le Sultan lui même à s'y intégrer. De hautes personnalités, accoururent de toute l'Afrique, attirées par l'éclat du célèbre réformateur dont l'avènement fut une réplique vivante au mouvement wahhâbite naissant. Le Tunisien, Shaykh al Islam Ibrâhîm Riyâhî et ses collègues (en-Nifer et Achour), le Mauritanien Mohammed al Hâfidh et tant d'autres, eurent l'heur de participer à l'expansion de la confrérie en Afrique. Une liste 4 de plus de cinq cents érudits africains figuraient, parmi les premiers disciples du Shaykh.
4 Cités avec leur éminente biographie, par, le grand traditionniste Mohammed al Hajouji de Demnât (décédé en l'an 1370 H / 1950 ap. J) dans son ouvrage manuscrit, Feth al Allâm.
WAZIFA TIDJANE : L’empreinte de Cheikh Ahmet Tidjane Chérif
Dans la confrérie tidjane, l’on ne cherche pas, seulement, à aller au paradis. Mais, l’on exalte Dieu pour avoir sa récompense et son agrément et bénéficier de son recours. Et cela passe par certaines pratiques tirées du Coran et la tradition du Prophète Mohamed (Psl). Ce sont ces deux éléments qui sous-tendent, l’institution de la wazifa, devenue une obligation pour les adeptes de cette confrérie. Cette pratique est une compilation d’invocations qui ont été révélées à Cheikh Ahmet Tidjane Chérif par le Prophète et par une dictée divine.
WAZIFA TIDJANE - L’empreinte de Cheikh Ahmet Tidjane Chérif
Des voix, d’une nette harmonie, s’élèvent des haut-parleurs des mosquées. Accompagnant les premiers rayons du Soleil à son lever et les derniers reflets d’or au coucher. Un ton qui change et un tempo adapté à la texture de chaque texte récité. Les notes sont les mêmes partout où la mélodie est entonnée. Une mélodie divine chantée en chœur, au matin comme au soir, dans la majorité des mosquées du Sénégal. Et d’ailleurs. Ce spectacle sonore est familier aux Sénégalais. Il fait désormais partie du quotidien des populations. Ces chants, d’un contenu religieux, ne sont nullement du domaine de l’ordinaire. Cette pratique journalière propre aux adeptes de la confrérie Tidjanya est appelée la «wazifa». Elle se fait dans la pénombre et autour d’un morceau de linceul étalé sur le sol. Plus qu’une simple image pittoresque, elle a aussi un sens et une signification.
En effet, la «wazifa» est un des rites les plus importants de la confrérie fondée par Cheikh Ahmet Tidiane Chérif, il y a plus d’un siècle. La pratique de la «wazifa», tout comme le wird et le lazime, est obligatoire à tout fidèle ayant reçu l’autorisation de la part d’un dignitaire assermenté. Cette liturgie puise sa source dans l’essence même de la confrérie Tidjanya. Laquelle a été tracée par le Prophète Mohamed (Psl) qui a institué les rites.
Seulement, selon les éclairages de l’islamologue, le Professeur Abdoul Aziz Kéké, «la composition de la Wazifa ne s’est pas révélée sur Cheikh Ahmet Tidiane d’un seul trait. Au début de son institution, la wazifa était composée de deux séquences que sont l’Istikhfar ou invocation de pardon et de retour à Dieu et la prière sur le Prophète. Ce n’est que 4 ans après qu’elle est complétée car, le Prophète Mouhamed ordonne au fondateur du tidjanisme d’adjoindre à cette liturgie la formule attestant de l’unicité de Dieu et la Jahwaratoul Kamal».
RECONNAISSANCE AU PROPHETE
Les choix des séquences qui composent la «wazifa» ne sont pas fortuites dans la mesure où, selon Pr Kébé, «elles sont en rapport et en conformité avec les fondements de l’Islam, les recommandations de Dieu et les enseignements du Prophète (Psl)». En effet, la récitation de la formule d’invocation du pardon trouve sa source sur les versets suivants : «Demandez pardon à votre Seigneur ; ensuite, revenez à Lui. Il vous accordera une belle jouissance jusqu’à un terme fixé, et il accordera à chaque méritant l’honneur qu’il mérite. Mais si vous tournez le dos, je crains alors pour vous le châtiment d’un grand jour.» «Ô mon peuple, implorez le pardon de votre Seigneur et repentez-vous à Lui pour qu’Il envoie sur vous du ciel des pluies abondantes et qu’Il ajoute force à votre force. Et ne vous détournez pas [de Lui] en devenant coupable.» (Sourate Hûd). A ces versets, s’ajoute un autre tiré de la sourate Nûh dans laquelle Dieu dit : «Implorez le pardon de votre Seigneur, car Il est grand Pardonneur, pour qu’Il vous envoie du ciel, des pluies abondantes et qu’Il vous accorde beaucoup de biens et d’enfants, et vous donne des jardins et vous donne des rivières.» Ainsi, Pr Kébé explique qu’à la lumière des promesses faites par le Tout-Puissant dans ces versets, «la récitation de la formule du pardon est la voie la plus indiquée pour avoir le bonheur ici et dans l’au-delà».
Il s’y ajoute que la seconde séquence de la liturgie constituée d’une prière sur le Prophète (Psl) ou Salatou alaa nabi résulte d’une recommandation divine. De même que cette prière est une manière de magnifier la reconnaissance à Mohamed (Psl) d’avoir permis à sa communauté d’ouvrir le trésor que constitue Dieu. Mais, il convient de souligner qu’il y a une pléthore de Salatou alaa nabi. Mais, celle utilisée dans la «wazifa» et dans les autres rites de la Tidjanya présente d’autres mérites, d’où son nom salatoul fatihi. D’ailleurs, révèle-t-on que la salatoul fatihi est «la prière sur le Prophète par excellence. Car, aucune autre prière sur le Prophète n’atteint, dans sa valeur ésotérique, la valeur de la salatoul fatihi. Elle a été prescrite à Cheikh Ahmet Tidjane du fait de son caractère sublime et eu égard à sa sainteté». A en croire Pr Kébé, cette formule a été transmise au Cheikh par le Prophète (Psl) en état de veille.
L’ARDOISE
Toutefois, d’autres sources rapportent que «les compagnons de Mohamed (Psl), voulant mettre en application le verset coranique qui ordonne aux musulmans de prier pour le Prophète, sont allés vers l’envoyé de Dieu pour qu’il leur donne la formule de prière. Car la prière pour le Prophète n’est pas pareille à la prière canonique. Le Prophète leur transmet alors la Salat al Ibrahimiyya. Celle-ci, si on l’analyse bien, montre qu’elle ne constitue pas dans son essence en une prière propre au Prophète, mais elle constitue plutôt une comparaison entre la prière faite pour Ibrahim, l’ancêtre de Mouhamed, et celle que l’on devrait faire pour le Prophète lui-même».
Ainsi, quand les soufis, après le Prophète, se sont rendus compte de cette comparaison, nombre d’entre eux ont commencé à faire des retraites spirituelles dans le but de découvrir la prière sur le Prophète. C’est Muhammad al Bikri qui a eu l’honneur de découvrir, grâce à Dieu, la prière. «Il a reçu la salatoul fâtihi. Elle était inscrite sur l’ardoise d’une manière assez curieuse car, quelle que soit la position de l’ardoise, le texte restait accessible et lisible. Il ne suivait pas les déclinaisons de son support matériel», rapporte-t-on.
Cependant, selon la tradition, Muhammad al Bikri a reçu l’ordre de ne pas inclure cette prière dans ses rites car, elle est réservée par le Prophète pour un de ses descendants qui fondera une confrérie. Et ce dernier n’est personne d’autre que Cheikh Ahmet Tidjanî, fondateur de la confrérie des Tidjanes. De par cette prière sublime, le fidèle Tidjane acquiert de la lumière et purifie son âme et son cœur au point qu’il n’y ait aucune crasse.
Autre élément qui compose la «wazifa» et qui atteste de l’inspiration de la lithurgie aux recommandations divines, c’est la Jahwaratoul kamal. Une invocation par laquelle l’on montre que «le Prophète est l’antichambre de Dieu. C’est le passage obligé pour accéder au Tout-Puissant. De même que Mohamed est le réceptacle de tous les biens provenant de Dieu et qu’il se charge de les distribuer». Pr Abdoul Aziz Kébé ajoute que les qualités du Prophète exaltées dans le texte démontrent «la relation réflexive entre lui et son Créateur». Seulement, la Jahwaratoul kamal est une séquence très importante dans la composition de la wazifa compte tenu de son essence.
LA DICTEE…DE DIEU ET LE CODE
Des explications de l’islamologue, il ressort que cette invocation dépasse le domaine de l’humain. D’ailleurs, témoigne-t-il «qu’elle a été révélée à Cheikh Ahmet Tidjane en lettres d’or. Il l’a reçu sous forme d’une dictée venue du ciel. Cette révélation peut provenir de l’inspiration ou d’une dictée dont on ne saisit pas la voix de l’auteur». Mais, fait-il remarquer que «la texture et la composition du texte, ajoutées à la combinaison des séquences, prouvent que le texte est loin du domaine de l’ordinaire».
D’ailleurs, Pr Kébé déduit que «le texte du Jahwaratoul kamal renvoie à des sphères célestes, à la dimension de Dieu et à la personnalité de son Envoyé. Or, personne n’est habituée à ces espaces célestes autre que le Tout-Puissant». Outre son sens, le Jahwaratoul kamal est le code d’accès au Prophète. En effet, Pr Kébé confie que «Mohamed (Psl), accompagné de ses fidèles dont Cheikh Ahmet Tidjane, s’invite à la ronde de la wazifa à la septième récitation de cette invocation». Et compte tenu de son origine et de son sens, il est indiqué que le Jahwaratoul kamal ne doit pas être récité sans purification absolue du corps et du lieu.
Cependant, on peut remplacer les 12 Jahwaratoul kamal de la «wazifa» par 20 salatoul fatiha. Si on est dans un groupe, on peut réciter les 20 salatoul fatikha à voix basse au moment où le groupe récite le Jahwatoul kamal. Il est précédé dans la composition de la «wazifa» par la formule de l’unicité de Dieu.
DISCIPLINE SPIRITUELLE
A la révélation de cette liturgie, il a été prescrit à Cheikh Ahmet Tidjane de l’instituer une fois dans la journée. C’est El Hadji Malick Sy qui a ordonné aux fidèles de la pratiquer deux fois : le matin et le soir. Cette révolution apportée par Maodo dans la «wazifa» n’est pas fortuite en ce sens que «les moments choisis coïncident avec les instants où Dieu diffuse ses affluences dans les mosquées». Outre cet argument, la volonté de El Hadji Malick était aussi d’inciter les fidèles tidjanes à se départir du futile pour le futile.
La pratique de la «wazifa», outre qu’elle facilite l’accès du fidèle à Dieu et promeut sa proximité avec le Prophète, vise aussi à astreindre au fidèle une discipline spirituelle à travers son corps, son âme, son sang et ses organes. De même, impose-t-elle à celui qui la pratique une autre discipline qui est celle de l’écarter de la commission de péchés. Selon Pr Kébé, «la permanence de la wazifa est la meilleure voix pour être en contact avec le Prophète. Et l’exemple de Cheikh Omar Foutiyou Tall est assez révélateur de ce fait». D’après les confidences de l’islamologue, «le Cheikh n’a jamais cessé de communier avec Mohamed (Psl) au point que certaines personnes le sollicitaient pour une intercession auprès de lui».
PENOMBRE ET LINCEUL
Seulement, la «wazifa» est pleine de symboles en ce sens qu’elle se pratique dans la pénombre et autour d’un morceau de linceul étalé sur le sol. Ce contraste entre l’obscurité et le blanc est rempli d’enseignements, si l’on en croit les explications du Pr Kébé. A son avis, «il s’agit, en ce moment, de reproduire les réalités du cosmos». Autre argument évoqué pour justifier la pénombre, «c’est pour éviter la distraction des fidèles lors de la séance. En plus, l’obscurité peut produire de la lumière spirituelle».
Le linceul étalé sur le sol est apparu dans la wazifa par tradition mais, il n’est pas une obligation. D’après l’islamologue, «l’essence de cette pratique était de barrer le passage de personnes étrangères dans le cercle des fidèles. Mais aussi, le blanc qu’il symbolise est le reflet de la pureté, un état auquel tout musulman est astreint». Le linceul est aussi une stra-tégie pour rappeler au fidèle le sort qui lui sera réservé à sa mort. «Du moment que chacun sera enveloppé de ce linceul, celui qui pratique la wazifa se gardera de commettre des actes répréhensibles en ce sens qu’il aura toujours en mémoire ce moment où il sera livré à Dieu. Seul avec ses actes», rappelle Abdoul Aziz Kébé.